Colonial appropriation and environmental degradation

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Colonial appropriation and environmental degradation

Résaux sociaux
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Carte blanche, par Juliette Delvaux

Passé, présent, futur. De tout temps, l’appropriation coloniale s’impose au sein des relations économiques et politiques mondiales. La dégradation croissante de la biosphère terrestre est une conséquence directe de ce mode d’exploitation.

Au-delà des considérations environnementale et écologique de la crise du vivant, un angle politique et social doit être abordé. Plus spécifiquement, le traitement réservé aux personnes qui souffrent le plus de la dégradation de l’environnement révèle trois périodes : le passé colonial, le présent sous le signe du néocolonialisme et de la crise migratoire, et enfin les premiers signes d’une colonisation du futur déjà amorcée. Plus encore, les dimensions géopolitiques présentes au sein des rapports de dominations entre les populations qui produisent et celles qui consomment peuvent être abordées par le puissant concept de nécropolitique (1), théorisé par Achille Mbembe.

Hier, les grandes puissances européennes se divisaient le continent africain à la latte. Au sein des colonies, l’asservissement de toute une partie de la population (et des ressources de leurs pays) a longtemps été justifié par un imaginaire profondément et ouvertement raciste. Une grande partie des pays européens se sont ainsi construits sur l’accaparement des ressources des pays qu’ils colonisaient, mobilisant une main d’œuvre forcée. La création des démocraties occidentales modernes est donc loin d’être fondamentalement dénuée de violence. Au contraire, la paix et l’abondance en occident furent en grande partie conditionnée par les violences faites « au loin », à « l’autre »(2)… Mais cette situation a-t-elle changé ?

Aujourd’hui, on constate que les systèmes d’exploitation n’ont pas cessé avec la fin des colonies. Ils se sont déplacés sur un plan moins officiel qui a tout de même permis aux puissances occidentales de conserver la mainmise sur les ressources des pays anciennement colonisés. La quasi-totalité de l’industrie mondialisée participe directement ou indirectement d’un néocolonialisme profondément motivé par la loi du profit. Ces modes de production et d’exploitation détruisent « la vie » au sens propre du terme : ils créent non seulement des conditions invivables sur le plan social, mais également sur le plan environnemental. Les répercussions les plus violentes de ces atteintes aux écosystèmes s’abattent sur les régions du monde et sur les personnes qui y participent le moins. La boucle est bouclée lorsque ces mêmes personnes, forcées de se déplacer, se voient refuser l’asile sur le sol des pays à l’origine de leur double peine. Le statut de la migration climatique est le point focal de la décence humaine que l’occident ne parvient pas à atteindre, d’autant plus que les vagues migratoires continueront de s’accentuer proportionnellement à la destruction de l’environnement planétaire.

Mais qu’en est-il de demain ?

Si l’écrivain David Van Reybrouk s’est longtemps penché sur l’histoire de la colonisation, il annonce vouloir se tourner vers l’avenir. L’auteur estime que nous sommes déjà en train de « coloniser le futur » (3). En effet, l’exploitation de ressources puisées dans des réserves finies, la destruction considérable de la biodiversité, ainsi que le réchauffement global de la planète auront un impact certain sur les générations à venir. Cette « colonisation du futur » est donc déjà bien enclenchée, et elle ne fait que s’intensifier. Pour aller plus loin dans cette analyse, le concept de « nécropolitique » développé par l’auteur Achille Mbembe permet de décrire l’organisation politique et idéologique sous-jacente au système colonial. Le nécropolitique tente de « rendre compte de la généralisation des formes de pouvoir et des modes de souveraineté dont la caractéristique principale est de produire la mort. Et ce, à partir d’un calcul purement instrumental de la vie et du politique » (4). Cette analyse est doublement pertinente dans le contexte de la dégradation de la biosphère, en ce qu’elle permet d’expliquer aussi bien le calcul instrumental de « la vie » comprise comme l’exploitation des ressources naturelles, que « la vie » des personnes qui les extraient et de celles qui pourraient en manquer dans un futur proche. Le propre du système capitaliste est bien de produire la mort de l’écosystème, le réduisant à des moyens destinés à remplir des fins qui ne profiteront qu’à quelques personnes dans un temps réduit. Le néocolonialisme écologique motivé par la loi du profit est une manifestation évidente du nécropolitique, dont les effets s’étendent irrémédiablement dans le temps. Il est étonnant pour des sociétés patriarcales qui placent « la famille », « les enfants » et le fait d’en faire comme but ultime de la vie, de ne même pas se soucier des conditions de bases nécessaires à leurs survies.

Les systèmes d’exploitation coloniaux forment donc un continuum ininterrompu qui impacte déjà notre avenir. Plus encore, une nécropolitique est apposée sur toute une partie de la population et sur les ressources naturelles de la planète entière. Si les personnes qui participent le moins à la destruction de l’environnement sont et seront à l’avenir celles qui en souffriront le plus, il est humainement nécessaire de permettre à tous de vivre sur des zones géographiques qui ne mettent pas en danger leur survie. Pour la première fois de son histoire, l’humain constate que l’équilibre du vivant dont il a si longtemps profité a des limites qu’il est en train de dépasser. Un changement de paradigme est nécessaire, pour que l’anthropocène ne soit pas seulement le moment de l’histoire ou l’humain aura épuisé les ressources de son environnement, mais où il (ré)apprendra à vivre en symbiose avec l’ensemble du vivant. Dans cette période clef de notre histoire, le « phénomène colonial » n’est toujours pas traité à la hauteur de la gravité qu’il représente, pour l’humain comme pour l’environnement. Se pencher sur le passé est d’une importance vitale, car ce sont bien les mêmes idéologies racistes qui ont justifié la colonisation qui permettent aujourd’hui le néocolonialisme et ses effets écologiques dévastateurs. Il est nécessaire d’établir une « politique de la justice et de la réparation » qui permettrait de juger les crimes commis et de traiter leurs répercussions contemporaines. Agir sur les conséquences de notre passé commun pourrait être une porte d’entrée qui nous permettrait de vivre décemment aujourd’hui, et plus encore de permettre la continuation des générations futures tout comme celle de la biodiversité.

1. Mbembe Achille, Mbembe Achille, « Nécropolitique », Raisons politiques, 2006/1 (no 21), p. 29-60. DOI : 10.3917/rai.021.0029. https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-1-page-29.htm

2. Mbembe Achille, Politique de l’inimitié, Paris, La Découverte, 2016, p.29-36

3. Entretient avec David Van Reybrouk pour l’Echos, « David Reybrouk, historien : l’humiliation est la force politique la plus sous-estimée de l’histoire », sur https://www.lecho.be/opinions/analyse/david-van-reybrouck-historien-l-humiliation-est-la-force-politique-la-plus-sous-estimee-dans-l-histoire/10415854.html, consulté le 14 décembre 2022

4. Mbembe Achille, Politique de l’inimitié, op.cit., p. 57

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