Une souffrance omniprésente, qui s’attaque aux liens sociaux
Une souffrance omniprésente, qui s’attaque aux liens sociaux
Anne Fromont est infirmière de santé publique et a travaillé dix ans dans 6 pays, dont la RDC. Dans le cadre de sa thèse en santé publique, elle s’est penchée sur l’inclusion des infirmiers de santé mentale et l’introduction de la santé mentale dans les centres de santé au Rwanda. Ses recherches ont notamment débouché sur l’écriture de l’ouvrage « Violences de masse, reconstruction psychique et des liens sociaux : initiative de développement de la santé mentale dans la région des Grands Lacs. » Ed. L'Harmattan, 2014.
LC : Comment décrieriez-vous le contexte général du Sud-Kivu ?
Le Burundi, le Rwanda et le Kivu ont en commun une histoire de violences de masse depuis les années 50 et même bien avant. La date emblématique de ces événements étant 1994, le génocide au Rwanda. Depuis, ces zones sont restées très instables et, encore à l’heure actuelle, au Kivu comme au Burundi, la population subit des violences de masse : viols de guerre, assassinats de groupe… Toutes sortes de violences régulières et d’exactions commises par des groupes pseudo-militarisés ou des bandes locales. Il s’agit d’un contexte très particulier, où une population a vécu des événements terribles et souffre donc de traumatismes psychiques profonds qui les touchent tous directement. Tous.
LC : Quelles sont les conséquences d’un tel contexte en termes de santé mentale ?
Les conséquences, au niveau individuel, sont des taux énormes de PTSD (syndrome de stress posttraumatique), soit un ensemble de symptômes psychiatriques liés au stress, que la personne n’arrive pas à dépasser. Cela crée des maladies mentales de tous types : depuis la dépression chronique, jusqu’à la décompensation psychiatrique. La souffrance mentale est quotidienne et c’est d’autant plus dramatique que ces violences de masse s’attaquent au lien social. Le tissu social est totalement délité et les repères sociaux sont eux-mêmes touchés : les infirmiers, les prêtres, toutes les figures de l’aide sont aussi en souffrance.
LC : Quelles approches préconiseriez-vous pour faire face à ce problème ?
Pour moi, la meilleure approche est celle qui conjugue différentes stratégies. Il faut travailler sur la demande en sensibilisant les communautés, sur l’offre en formant le personnel de santé, sur la prévention et sur une visibilité de l’enjeu afin de dégager des moyens pour la santé mentale.
LC : Quel(s) rôle(s) une ONG comme Louvain Coopération peut-elle jouer ?
En tant qu’ONG universitaire, Louvain Coopération peut clairement intervenir dans la production de savoirs sur ce problème : documenter ce qui est fait, tester des innovations, observer les méthodes qui fonctionnent… Elle a également un rôle à jouer au niveau de l’enseignement dans le sens de renforcer les compétences locales, sensibiliser les gens. Enfin, je pense qu’elle doit investir le plaidoyer au niveau des bailleurs de fonds, des intervenants locaux et des décideurs et leaders locaux.