Enfant shégué, il devient éducateur
Enfant shégué, il devient éducateur
Notre collègue Stéphanie Merle s'est rendue à Kinshasa pour visiter nos projets d'appui aux enfants de la rue (ou shégués). Elle a fait la rencontre de plusieurs jeunes, dont Caleb, 25 ans, qui a accepté de lui raconter son histoire.
J’avais 11 ans quand j’ai été chassé de ma maison. Je vivais avec la famille de ma maman et mes petites soeurs. Un jour, on apprend que mon papa est décédé dans un accident. Maman n’était pas à la maison quand c’est arrivé. Mon oncle disait que c’était de ma faute, que je portais malheur, que j’étais responsable de la mort de mon papa, alors il m’a chassé.
LC : Tu as atterri dans la rue à ce moment-là n’est-ce pas ?
A son retour, ma maman a voulu me récupérer… Mais j’étais dans la rue. Des éducateurs sont alors venus à ma rencontre et m’ont emmené au Centre Ndako Ya Biso. J’avais du mal à raconter mon histoire. En fait je ne comprenais pas bien ce qui m’arrivait. Le centre a essayé de parler à mon oncle et à ma tante. Mais ils étaient devenus mes ennemis et m’ont encore chassé. On a alors essayé de me placer chez mon grand-père mais sa femme ne voulait pas de moi… c’était long tout ça.
LC : Comment as-tu continué tes études dans ce chaos ?
Finalement quand j’avais 15 ans, on m’a mis à Don Bosco (la Maison Papy). Là, j’ai continué à suivre mes cours et je dormais dans la Maison Papy. Ma maman venait régulièrement me voir. Et je lui demandais toujours où j’allais aller quand je terminerais mes études. Ça me tracassait vraiment. J’ai eu mon diplôme d’enseignant et j’ai commencé à gagner ma vie. Et quand le frère et la soeur de ma maman ont appris que je gagnais un peu d’argent, ils se sont dit que Caleb n’était finalement pas ceci ou cela et ils ont accepté que je rentre. Je pense qu’ils avaient compris que je n’étais pas responsable des malheurs de la famille.
LC : Tu étais enseignant, tu gagnais ta vie, pourquoi alors avoir décidé de te relancer dans des études d’éducateur spécialisé ?
Un jour, j’ai aussi voulu aider les enfants en rupture familiale (Caleb ne prononce pas le terme Enfant des rues). Je l’ai dit à ma maman qui a accepté. Je suis donc venu au Centre et je leur ai expliqué que je voulais faire comme eux. Cela fait deux ans que je suis au CAFES (Centre Africain de Formation Supérieure des Educateurs Sociaux) pour apprendre à accompagner les enfants en situation difficile. Et je travaille déjà au centre d’ORPER (autre partenaire de Louvain Coopération). C’est un travail épuisant, vraiment. Mais les trois choses principales à retenir c’est le contact, la connaissance et ensuite seulement, l’intervention. Il faut vraiment prendre le temps… On apprend aussi que le résultat ne sera pas forcément toujours positif. Aux enfants, je leur parle de moi, je leur raconte mon histoire, je leur répète que la vie est précieuse et que c’est souvent nous qui la gâchons. Je leur dis aussi « quand vous faites de bonnes choses alors vous êtes heureux ». Je pense que ça les aide. Vous savez, je les comprends moi.