Edito
Universitaire pour l’avenir
En tant que premier cadre partant à la retraite, on m’offre le privilège d’écrire cet édito, que je consacre à l’opportunité que représente l’ancrage universitaire de notre ONG.
Pendant mes quelques années au sein de cette organisation, j’ai pu observer et contribuer à quelques initiatives qui m’ont convaincu de la valeur ajoutée d’être une ONG universitaire. Les interactions avec l‘UCLouvain les plus intéressantes et pertinentes sont selon moi celles qui impliquent et renforcent des organisations et universités du Sud. Le développement durable étant avant tout l’affaire des citoyens locaux concernés, notre binôme avec l’UCLouvain doit relever le défi de renforcer les capacités locales du Sud à formuler et mettre en oeuvre ses propres politiques de développement : évoluer d’une dépendance aux idées du Nord vers une interdépendance avec les idées du Sud.
J’encourage donc l’équipe à soutenir les capacités de recherche et d’innovation des partenaires du Sud. C’est le meilleur gage d’une appropriation de leur développement et d’une adaptation à leur contexte de stratégies adéquates. Au Nord, de nombreux chercheurs universitaires participent aux processus multi-acteurs qui orientent nos propres transitions sociétales. Pourquoi ne pas contribuer à cette capacitation-là au Sud ? Le défi pour Louvain Coopération consisterait alors à développer de plus en plus de collaborations incluant des ONG, étudiants et chercheurs universitaires du Sud.
Ainsi nous pourrons évoluer vers des alliances entre partenaires de plus en plus égaux, et améliorerons notre ancrage social au sein du milieu universitaire.
Les processus de transformations des productions agricoles présentés dans ce numéro de Devlop’ sont au coeur de cette problématique d’appropriation.
Patrick Vanderhulst
Expert en mutuelles de santé
La préservation de l’environnement est aujourd’hui devenue une priorité et une urgence pour garantir aux futures générations que tous les efforts de la coopération au développement ne restent pas vains. Louvain Coopération veut tenir un rôle important dans la réalisation de cet objectif et y travaille depuis plusieurs années. À quoi bon développer économiquement une région, si ses ressources et donc la vie humaine elle-même, s’en trouvent menacées sur le long terme ? Cette problématique est encore plus vraie pour les populations du Sud : elles sont les premières exposées aux dégâts causés par des changements climatiques dont sont majoritairement responsables les pays du Nord. Depuis 2011, Louvain Coopération a donc entamé un grand chantier pour répondre à la problématique récurrente et cruciale suivante : comment intégrer toujours plus efficacement et de manière systémique l’environnement dans l’ensemble de nos projets de développement ?
Un travail fructueux mais de longue haleine
Notre équipe s’est penchée sur la création d’un indicateur efficace et simple d’utilisation, un outil d’abord destiné aux institutions qui gèrent nos projets. Dès 2012, une première version d’un Outil d’Intégration Environnemental (OIE) voit le jour, et est testée par les partenaires de terrain en Amérique andine, au Bénin, en République démocratique du Congo et à Madagascar. Plusieurs mises à jour ont ensuite permis d’améliorer la clarté et l’appropriation de cet outil. Le travail fut si bien mené que notre indicateur est désormais développé en complémentarité avec le Klimos-Toolkit, outil de la plateforme interuniversitaire Klimos – programme belge de recherche universitaire sur le climat financé par la Direction générale pour la Coopération au développement et Aide humanitaire belge.
Notre OIE a donc acquis une belle reconnaissance dans le monde du développement belge et est devenu une référence en matière d’environnement. L’Académie de recherche et d’enseignement supérieur l’a même intégré dans ses outils de référence. Sa quatrième version est actuellement en phase d’approbation par d’autres ONG partenaires (Trias, ULB Coopération) et organisations locales dans les pays du Sud. Les retours sont pour l’instant unanimes : l’outil environnemental apporte une plus-value indéniable, même pour des organisations déjà sensibilisées à la problématique.
La rubrique « Zoom sur le terrain » de votre Devlop’ vous emmène cette fois en Bolivie, à la découverte d’un projet de développement de la culture hydroponique destiné aux populations ayant peu d’accès à la terre.
Nous sommes au sud de la Bolivie, dans les municipalités de Cercado et San Lorenzo de la Vallée centrale de Tarija. Cette zone rurale est peuplée de paysans indigènes et métis, dénommés « chapacos », qui mènent un style de vie enraciné dans les coutumes locales. Depuis plusieurs années, l’économie de la région est très dépendante de l'exploitation du gaz naturel et l'instabilité du marché des hydrocarbures rend la situation particulièrement délicate. Les autorités locales cherchent donc des sources de revenus alternatives pour les populations afin de pallier cette instabilité économique.
Dans cette optique, le gouvernement régional, Louvain Coopération et son partenaire local, Esperanza Bolivia, ont collaboré dans une approche stratégique qui stimule les filières agricoles de maraîchage et de culture de baies, à travers la formation et l’octroi de matériaux agricoles. En tout, ce projet vise 150 familles productrices installées en zone urbaine et périurbaine, qui ont donc peu d’accès à la terre.
Un système agricole novateur
Le coeur de ce projet réside dans le système hydroponique, qui est proposé aux maraîchers comme innovation à leur activité. « Cela leur permettra d’atteindre l'objectif de diversification alimentaire de leur propre consommation et de générer des revenus additionnels pour les familles paysannes à travers la commercialisation des excédents de la production », précise Sergio Martínez, responsable du projet à Tarija.
Un Centre de Production Hydroponique (CPH) a été mis en place à 8 km du centre de la ville. Il se présente comme une serre modèle de 140 m2 et vise trois objectifs : la recherche-validation technologique, la démonstration et la formation. Actuellement, différents systèmes hydroponiques sont testés et les premiers résultats sont prometteurs, comme le montre le bon développement de différentes variétés de laitue, de chou, de céleri, de bette, de brocoli ou encore de chou-fleur. Une solution nutritive répondant aux besoins particuliers de la culture de la fraise est également à l’essai. Sergio Martinez ajoute : « Comme l’installation d’une culture sous serre peut représenter un coût trop élevé pour ces familles aux ressources économiques limitées, nous avons également installé dans le CPH un module en plein air. Il nous permet de former les familles à cultiver sans serre, en tenant compte des aléas climatiques. »
Si l’hydroponie nécessite l’ajout d’intrants chimiques, le système mis en place reste respectueux de l’environnement car l’eau et les nutriments utilisés sont recyclés dans le système et jamais évacués vers les cours d’eau ou le système d’égouts.
Les projets de sécurité alimentaire et économique de Louvain Coopération s’attachent à construire avec les agriculteur·trice·s des méthodes de culture qui garantissent selon les besoins une alimentation variée et suffisante à leur famille, ou des possibilités de commercialisation. Mais comment vendre rapidement ou conserver efficacement une production agricole souvent très périssable ? Comment augmenter la valeur des produits ?
La transformation offre une réponse à ces questions essentielles. « Dès que l’on commence à développer des stratégies pour stocker la production, on entre dans une logique de transformation. Cela peut être la construction de greniers pour le grain, la transformation de fruits en confitures et vins comme au Pérou, ou alors, comme à Madagascar, un travail sur la fumure pour la conservation du poisson, qui permet de le commercialiser à plus long terme » explique Vincent Henin, responsable des programmes sécurité alimentaire et économique.
Structuration sociale et technique
La mise en place de mécanismes de transformation passe par deux étapes. La première est la structuration sociale de groupes de producteurs, qui apporte deux avantages : plus de poids pour négocier, et la création de systèmes financiers de solidarité pour permettre l’investissement dans des innovations techniques de plus grande ampleur. La seconde étape est l’amélioration proprement dite des systèmes de transformation. Elle peut être technologique (traitement post-récolte, séchoirs…), intellectuelle (compétences et connaissances), ou économique (gestion, contrôle qualité).
Augmenter la valeur
Le traitement des produits génère de la valeur. Au Bénin, Louvain Coopération travaille sur des systèmes de transformation du manioc. Dans un pays où il est partout commercialisé, il faut miser sur la qualité pour augmenter ses ventes, c’est pourquoi nous travaillons sur la commercialisation groupée et le contrôle qualité. Le défi est le même au Togo : « Dans le cas du riz au Togo, on souffre d’un déficit d’image : dans les restaurants, les gens préfèrent le riz asiatique parce qu’il est asiatique, et parce que le riz de la région te casse parfois une dent à cause d’un caillou, parce que le produit a été mal préparé. » Nous avons donc créé des unités d’étuvage de riz : « Cela a permis à des groupes de femmes d’augmenter leurs possibilités d’activités économiques. C’est aussi une priorité : donner des opportunités à des acteurs à la marge du système (femmes, jeunes). »