Edito
EDITO Nous ne baisserons pas les bras !
Lorsque les modalités de transmission de ce « foutu » virus Covid-19 ont été mieux connues, vers la mi-mars, nous étions très inquiets. Nous craignions les dommages que cette maladie allait causer dans nos pays d’intervention, au Sud, là où les contacts humains sont d’habitude plus rapprochés et où le système sanitaire et la protection sociale sont nettement moins performants que dans nos pays occidentaux.
Nous pensions inévitablement à la catastrophe humaine que cette pandémie pouvait provoquer… Que faire d’efficace et d’utile pour permettre aux populations du Sud de se prémunir individuellement et collectivement d’une contamination que l’on pouvait supposer massive ? En concertation avec nos partenaires, des actions de prévention et de prise en charge de la maladie ont vite été réfléchies et mises en place par nos équipes : au Burundi d’abord, ensuite au Bénin et au Togo, puis en Bolivie, en RDC, au Cambodge, à Madagascar bref, partout où nous menons des actions en lien avec la Santé.
Rapidement, nous avons transmis des messages de prévention en langues locales sur les gestes barrières, fourni équipements et matériel médical pour les formations sanitaires que nous accompagnons, soutenu et formé le personnel soignant qui, comme chez nous en Belgique, se voyait de plus en plus débordé et stressé par cette situation de crise sanitaire inédite… Comme vous allez le comprendre tout au long de la lecture de ce périodique, un impact socio-économique lourd de conséquences nous attend tous, au Nord comme au Sud, nous le savons. Nous ne baisserons pas les bras et resterons aux côtés de nos partenaires pour traverser ensemble cette crise sanitaire mondiale sans précédent, essayant de limiter au maximum les dégâts et pertes humaines…
Sophie Wyseur
Responsable des Opérations
LA SITUATION
La « grande île » a fermé ses frontières le 19 mars et l’état d’urgence sanitaire y a été décrété deux jours plus tard. Le confinement et les restrictions de circulation entre les différentes régions du pays entravent fortement les activités commerciales et économiques et les populations qui vivent de la vente de leur production agricole ou de la pêche sont particulièrement impactées par cette paralysie du marché. Les familles de producteurs d’arachides que nous soutenons sont notamment touchées. L’impossibilité d’écouler la marchandise hors de la région a fait chuter les prix de près de 40% et les producteurs sont obligés de vendre car ils ne disposent ni de trésorerie, ni d’infrastructures leur permettant de pratiquer le stockage spéculatif. Pour compenser ce faible prix de vente, la plupart des producteurs ont vendu la totalité de la production (déjà réduite par le manque de pluies), ce qui limitera la quantité de semences disponibles pour la campagne suivante. Au niveau sanitaire, la formation du personnel de santé est insuffisante pour faire face à la crise, tout comme le matériel et équipements requis pour se protéger et protéger les patients.
NOS ACTIONS
Grâce à la générosité de nos donateurs, nous avons pu équiper davantage nos partenaires santé pour mieux accueillir, sensibiliser et prendre en charge les patients. Les familles des paysans qui vivent de la vente de l’arachide reçoivent des semences productives afin de pouvoir ensemencer rapidement leurs champs. Nous leur fournissons également des semences de céréales et de légumineuses pour compléter leurs productions ainsi que du petit matériel et des équipements pour faciliter les travaux des champs.
LA SITUATION
Le 16 mars, le premier cas de Covid-19 a été rapporté au Bénin. Les familles des producteurs agricoles ont rapidement été touchées par les mesures de confinement, car il est devenu difficile de se rendre dans les différents marchés urbains de Cotonou pour vendre leurs produits. L’approvisionnement en certaines victuailles est également devenu plus compliqué suite à la fermeture des frontières. Dans la région de l’Atacora, la vente du fonio a été particulièrement mauvaise. Les stocks sont donc importants et l’arrivée de la saison des pluies risque de les endommager. Dans le sud du pays, les coopératives transformatrices de manioc font face à une pénurie de matière première. À la mauvaise récolte de 2019 s’ajoutent les mesures de restriction liées au Covid-19. Leurs membres doivent donc utiliser une partie de leurs réserves financières pour nourrir leurs familles. Par ailleurs, les travaux champêtres ont pris du retard, et le ralentissement des activités agricoles et économiques pourraient mener à une chute du pouvoir d’achat des ménages.
NOS ACTIONS
Nos mutuelles de santé béninoises ont permis la diffusion de nombreux messages et matériel de prévention contre le virus. Les transformatrices de fonio vont être soutenues pour la vente de leurs stocks, ainsi que les transformatrices de manioc pour un meilleur accès à la matière première.
LA SITUATION
Parmi nos différentes zones d’intervention, le Cambodge est le plus épargné par le virus. À la mi-mars, le gouvernement cambodgien a pris des mesures strictes pour éviter les mouvements de population. Aujourd’hui, le royaume reste un des rares pays à ne déplorer aucune victime. Sur le plan socio-économique cependant, les inquiétudes sont grandes, la crise affectant trois des moteurs économiques du pays : le tourisme, les exportations de produits manufacturés et les investissements étrangers directs. Ces moteurs représentent 70 % de la croissance et 40 % des emplois rémunérés du pays. Selon un rapport récent de la Banque Mondiale, le ralentissement pourrait ainsi provoquer une hausse de la pauvreté estimée entre 3 et 11 %. Les familles qui dépendaient des revenus envoyés par leurs membres partis travaillés en Thaïlande (90.000 travailleurs migrants sont rentrés depuis mars 2020) se retrouvent aujourd’hui dans une situation particulièrement précaire.
NOS ACTIONS
La crise sanitaire et son impact socio-économique a entrainé une augmentation des problèmes de santé mentale et, ici encore, les populations les plus pauvres sont les plus touchées. Face à ce contexte, nos partenaires locaux ont adapté leurs actions. Des cellules d’accompagnement psychologique ont été mises en place avec une permanence téléphonique 7/7 assurée auprès des patients et de leur famille mais également du personnel soignant.
Les travailleurs sociaux ont quant à eux favorisé les actions de prévention et de sensibilisation liées au Covid-19.LA SITUATION
La Bolivie a décrété la quarantaine totale et la fermeture des frontières à la fin du mois de mars. Malgré cela, le Covid-19 a gagné du terrain et le système de santé, déjà défaillant, ne peut faire face à l’afflux de patients. Le tri des malades s’organise dans les rues et, dans les centres de soins, le matériel et les médicaments manquent pour les prendre en charge. Le personnel médical est très exposé et manque de protection. D’un point de vue économique, les petits entrepreneurs que nous accompagnons souffrent particulièrement car cette situation les empêche d’écouler leur production.
NOS ACTIONS
Nous informons les bénéficiaires de nos projets sur les mesures de prévention sanitaire, mais aussi pour limiter les cas de violences intrafamiliales en condition de confinement. Nous sommes également attentifs aux possibilités qui s'ouvrent dans chaque municipalité pour soutenir les unités de production.
LA SITUATION
La RDC a annoncé l’état d’urgence le 25 mars, impliquant de nombreuses mesures de confinement. Celles-ci ont entraîné la rareté des produits de première nécessité d’origine manufacturière (qui sont habituellement importés), mais aussi la flambée des prix des produits locaux, notamment les denrées agricoles qui ont doublé de prix. La suspension d’une large partie des activités économiques a provoqué la perte de nombreux emplois (formels et informels). De nombreuses familles souffrent de la faim et les cas d’enfants livrés à la rue risquent d’exploser. Au niveau sanitaire, la prise en charge des malades est difficile et le personnel soignant dispose de très peu de moyens de protection. Heureusement, l’épidémie semble jusque-là ne pas faire un grand nombre de victimes. Les mesures de confinement ont donc été assouplies durant l’été.
NOS ACTIONS
Nous avons d’abord paré au plus urgent : équiper les hôpitaux et sensibiliser la population. Début avril, nous avons organisé une collecte de fonds qui a suscité un bel élan de générosité. Nous avons ainsi pu financer l’achat de masques, gants, désinfectant, respirateurs… destinés à nos hôpitaux partenaires. D’importantes campagnes de sensibilisation sur les dangers du Covid-19 et les gestes de protection ont également été organisées par nos équipes et partenaires.
Philippe De Leener est professeur au sein du Centre d’études du développement de l’UCLouvain, spécialisé en économie, science politique et sociologie du changement dans le cadre de l’Afrique subsaharienne. Il est également Président d’Inter-Mondes et Co-président de la Fédération d’économie sociale SAW-B asbl (Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises). Il répond aux questions du Devlop’.
LC : Comment percevez-vous la crise du Covid-19 ?
Philippe De Leener : Je pense qu’il est important, avant tout, de situer la crise actuelle de manière plus large : la pandémie est la signature d’une impasse qui touche l’économie globale. Le Covid représente une des premières manifestations contemporaines d’une crise beaucoup plus profonde : celle des régimes d’accumulation capitalistes. Si on n’analyse pas la pandémie dans ce contexte-là, on ne peut pas comprendre.
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