Apprendre un métier, pour un avenir digne

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Journal Devlop' 17 - Apprendre un métier, pour un avenir digne
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Pour que les jeunes entraînent un réel changement

Les jeunes représentent un atout indéniable pour le développement durable de leur pays. Cependant, ils accèdent très difficilement à l’emploi, et le chômage touche tout particulièrement les jeunes femmes, qui occupent les statuts les plus précaires (emplois vulnérables et travail indécent), favorisant encore les inégalités et un risque de rupture sociale.

De plus en plus, les États s’efforcent de trouver des solutions pour assurer une meilleure adéquation entre la formation et le marché du travail et ainsi réduire la pauvreté et l’exclusion sociale. Mais les différentes régions peinent à développer leur potentiel économique et l’éducation reste souvent inadaptée aux besoins.

Aider la jeunesse à développer ses aptitudes pour accéder à une situation professionnelle et sociale stable est un enjeu fondamental pour rompre avec le cycle infernal de la pauvreté et contribuer à la construction d’une société plus égalitaire. Par l’insertion socioprofessionnelle, Louvain Coopération entend permettre à ces jeunes hommes et femmes d’acquérir leur autonomie, mais au-delà, un statut, une place au sein de la société.

Pour cela, d’innombrables déterminants interviennent : les compétences techniques sont importantes mais les compétences relationnelles (socio-émotionnelles) jouent un rôle fondamental. Ces facteurs dépendent beaucoup du milieu familial, du genre, de la classe sociale, des origines géographiques, ethniques ou religieuses, ou encore du handicap.

Dans chacune de nos zones d’intervention, avec nos partenaires, nous analysons donc en profondeur ce contexte (y compris conjoncturel et économique) pour adapter l’accompagnement des jeunes vers l’insertion sociale et professionnelle, et assurer que leurs compétences soient utilisées et orientées vers la voie qui leur correspond le mieux.

Les jeunes sont les acteurs centraux de leur démarche d'insertion et notre objectif est de mettre tout en oeuvre pour valoriser leurs compétences personnelles, les encourager à croire en leur potentiel et à se lancer dans le monde professionnel, pour qu’au final, ils entraînent un réel changement au sein de leurs sociétés.

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Le professeur Dieudonné Musa Alokpo, Chef du département des sciences de l’éducation de l’Université de Kinshasa (UniKin) va réaliser une recherche appliquée sur l’insertion socioprofessionnelle des jeunes en situation de rue par la formation professionnelle non formelle, soit l’apprentissage. Il explique : « L’objectif principal de cette recherche est d’évaluer l’efficacité du dispositif d’insertion socioprofessionnelle basé sur la formation non formelle aux métiers dans l’insertion sociale et l’autonomisation socio-économique des jeunes de la rue à Kinshasa. Concrètement, il s’agit de vérifier si la réinsertion sociale par ce mode de formation professionnelle est efficace, mais également déterminer les facteurs de réussite sur les plans pédagogique, personnel, psychologique, économique, de l’environnement… Et, dans le cas où ça ne fonctionne pas, déterminer quels sont les paramètres à la base de l’échec pour y travailler. Nous allons donc analyser l’effet du profil de départ de ces jeunes sur leur réussite : leur niveau de scolarisation, leur genre, le profil de leur famille, leurs connaissances de base dans le métier qu’ils souhaitent apprendre… Il nous faut aussi étudier l’impact des profils des formateurs, de leur personnalité, leur expérience, l’approche qu’ils utilisent…. sur les compétences et les apprentissages.

Ces jeunes vont aussi apprendre quelques notions d’entrepreneuriat et de marketing digital. On voudrait déterminer l’impact de ces deux formations sur la survie de leur entreprise. Par ailleurs, nous voulons identifier les principaux facteurs qui motivent ou démotivent les jeunes, au cours de leur formation et de leur installation professionnelle. Et, enfin, déterminer les méthodes pédagogiques, l’approche qui serait la bonne et ce, en fonction des différentes formations. »

En tant qu’ONG universitaire, il est important pour Louvain Coopération de mener ce type de recherche. Dans ce cas, elles nous permettront d’élaborer un document de référence sur les conditions de l’insertion sociale des jeunes de la rue par la formation non formelle aux métiers. Celui-ci pourra servir de modèle pour les autres organisations qui travaillent dans ce domaine, pour les formations futures.

Par ailleurs, si les résultats de cette analyse sont positifs et témoignent d’une grande efficacité, ils constitueront un important outil de plaidoyer au niveau de l’Etat pour formaliser/officialiser ce type de formation et orienter les structures (sociales ou éducatives, publiques ou privées) à proposer une méthodologie complète d’insertion par l’apprentissage d’un métier.

« Il est important de former les jeunes dans ce domaine car nous sommes dans une région à vocation agropastorale, à fort potentiel pour l’élevage et l’agriculture. Aujourd’hui, de nombreux jeunes sont désoeuvrés, ils ne trouvent pas de travail, et l’exploitation raisonnée de la terre peut leur amener un revenu. Cette formation est un atout pour un avenir meilleur. Au fil des années, elle attire de plus en plus de jeunes car on essaye de leur faire comprendre qu’avant toute chose, il faut manger, et qu’on ne peut pas vivre sans agriculture, sans élevage. Auparavant, nos formations étaient vraiment focalisées sur la théorie mais, avec le soutien de nos partenaires, nous avons développé un apprentissage pratique. Les jeunes sont beaucoup plus intéressés car ils apprennent en classe et peuvent ensuite appliquer ces théories dans les champs. Les élèves reçoivent, par ailleurs, des cours en entrepreneuriat qui les préparent à se prendre en charge à travers des activités d’élevage et autres.

A l’avenir, nous avons la volonté de transformer l’école en unité de production et d’apprentissage où les agriculteurs et les jeunes viendraient apprendre les techniques agricoles. Ce serait une source d’autofinancement pour l’école et un plus pour les ménages autour de l’école car ils pourraient améliorer leurs techniques agricoles et leur productivité.

De manière générale, nous plaçons l’accent sur l’agriculture durable car pendant des années, nous avons contribué à la destruction de nos écosystèmes et notre environnement avec nos pratiques agricoles. Il est important d’apprendre aux jeunes une agriculture qui préserve leur environnement. Avec cette approche, nous améliorons la production, tout en contribuant à la sauvegarde de l’environnement."

Depuis 2015, Louvain Coopération accompagne, avec ses partenaires locaux, des enfants en situation de rue en RDC. L’objectif : entourer, mais également offrir un avenir à ces jeunes qui ont déjà bien trop souffert.

Dans la capitale congolaise, des milliers d’enfants vivent dans la rue. Ils ont été abandonnés, ou fuient un foyer maltraitant et la misère. Ils doivent alors survivre dans un climat de violence et d’insécurité quotidiennes. Les recensements datent de plus de dix ans mais, déjà à l’époque, on estimait que ce phénomène touchait 20 à 25.000 enfants et toutes les associations qui oeuvrent auprès de ces jeunes s’accordent à dire que ce phénomène ne fait qu’augmenter.

En 2015, Louvain Coopération a mis en place un premier projet de soutien et d’accompagnement des enfants en situation de rue, mettant l’accent sur une approche psychosociale. Grâce au travail de centres d’accueil partenaires, les enfants sont, dans un premier temps, accueillis, logés, nourris, soignés… Commence alors un travail avec des psychologues et éducateurs de rue pour essayer d’atténuer les souffrances liées à tous les traumatismes qu’ils ont déjà endurés et pour les réinsérer progressivement dans la société.

Un accent sur l’avenir

En huit ans, ce projet a bien évolué. En 2018, il s’est étendu au Sud-Kivu, avec un centre d’accueil à Bukavu. Une équipe de secours mobile a également vu le jour à Kinshasa, parcourant les rues de la capitale à la recherche d’enfants en détresse.

Plus récemment, Louvain Coopération a souhaité renforcer son action dans l’insertion socioprofessionnelle pour ces jeunes. Désormais, il ne s’agit plus uniquement de leur donner accès à des formations, mais de les accompagner de façon très concrète dans le lancement de leur activité professionnelle. Pour offrir à ces jeunes de réelles chances pour l’avenir.

L’insertion socioprofessionnelle ne s’adresse pas uniquement aux enfants en situation de rue. Louvain Coopération appuie d’autres initiatives de formation, comme au Sud-Kivu, sur le territoire de Walungu, où nous sommes investis dans ce domaine depuis 6 ans. Notre objectif ? Guider les jeunes de la région dans l’entrepreneuriat agricole.

Entre 2016 et 2021, dans la province du Sud-Kivu, 600 enfants et orphelins vulnérables ont été appuyés pour financer leurs frais de minerval et ainsi terminer leurs études primaires ou secondaires. Par la suite, moins de 5% de ces jeunes ont pu accéder à l’université et la majorité de ceux qui ont obtenu un diplôme officiel de l’Etat est sans emploi. Par contre, une partie de ces jeunes s’est ensuite dirigée vers une formation professionnelle et a reçu un kit d’insertion socioprofessionnelle pour se lancer. Il s’agit d’outils, mais également de conseils et de suivi dans le développement de leur petite entreprise. Ces jeunes ont ainsi créé des ateliers de coupe et couture, développé de petites entreprises de dépannage mécanique auto, maçonnerie, menuiserie…

Miser sur l’entrepreneuriat agricole

Forte de cette expérience, Louvain Coopération a décidé, pour son programme 2022-2026 au Sud- Kivu, de s’investir davantage dans les formations techniques destinées aux jeunes et de cibler plus particulièrement les écoles techniques agricoles, « car l’agriculture est l’activité principale dans ce milieu rural, avec beaucoup de potentialités, mais la section agricole est moins fréquentée et les besoins de ces écoles sont grands », précise Olivier Matumaini, Chef de projets Systèmes Alimentaires Durables pour Louvain Coopération en RDC. « Les jeunes chez nous ne sont pas très attirés par l’agriculture, car pour eux, il s’agit d’un travail salissant, moins rémunérateur et peu valorisé. Il nous semblait donc important de soutenir cette filière, pour changer les choses. »

Grâce au soutien financier de l’Etat belge, mais aussi de la fondation Aflam et de l’entreprise Lotus Bakeries, Louvain Coopération appuie 4 lycées techniques, qui encadrent 486 élèves en techniques agricoles. Concrètement, il s’agit surtout de renforcer l’aspect pratique de ces formations. « Nous contribuons à l’amélioration de leurs unités de démonstration, en finançant l’essentiel de ce qui leur manque. Nous avons par exemple réhabilité un clapier pour l’élevage de lapins dans l’école de Muku, acheté un verrat pour la porcherie de l’école de Cihérano, formé les élèves à la mise en place d’un macro-propagateur des rejets sains du bananier, … Nous avons également mis en place des comités de gestion pour les unités de démonstration », détaille Olivier Matumaini.

« Nous proposons, par ailleurs, des formations aux professeurs et responsables des établissements afin de développer, avec eux, un plan de formation continue ». Des visites d’échanges entre établissements et au sein d’entreprises agricoles de la région sont mises en place, et un « business plan concours » est également prévu pour les jeunes diplômés. Le projet qui présente le plus grand potentiel est financé en partie. Au terme de la formation, les élèves diplômés qui lancent une AGR (activité génératrice de revenus) dans le domaine de l’économie circulaire et/ou agroécologique, par exemple d’exploitation maraîchère, élevage domestique, petit commerce, artisanat, ou autre sont suivis et appuyés par nos équipes en tant que micro-entrepreneurs. L’objectif est de soutenir le développement de leurs initiatives, mais aussi d’analyser les formations qui sont les plus porteuses en termes d’insertion socioprofessionnelle.

Alexandra Bataille, éducatrice spécialisée dans le travail avec des jeunes en situation de rue, a repris des études de psychologie clinique à l’université de Paris. Elle a effectué son stage de Master à Kinshasa, au sein de notre projet, plus précisément dans les centres d’accueil dédiés aux filles. Elle nous parle de cette expérience.

LC : Comment décririez-vous l’état psychologique des jeunes que vous avez rencontrés ?

Ces enfants ont tous, à un niveau plus ou moins intense, vécu des traumatismes. Ils ont été, pour la plupart, taxés d’être des enfants sorciers et confiés à des églises qui les ont souvent torturés pour les exorciser. Beaucoup ont été maltraités dans leur famille, rejetés, abandonnés... Ils sont passés par la rue où ils ont subi de nombreuses agressions et violences. Quand ils arrivent dans les centres, ils sont donc très marqués par tout cela.

LC : Comment les accompagnez-vous ?

Il faut d’abord les accueillir et les accompagner petit à petit dans la (re)construction d’une image d’eux-mêmes positive car elle est très dévalorisée. Nous cherchons à réduire leur niveau de souffrance pour qu’ils se sentent mieux avec eux-mêmes et avec les autres et qu’ils aient envie de s’inscrire dans un présent et dans un avenir. Cela se passe au niveau individuel, en travaillant sur leur histoire et leur vécu, mais également au niveau groupal en apprenant à vivre en groupe, en société. Dans la rue, les enfants ont développé des rapports humains basés sur les abus et l’usage de la force. Très tôt ils ont dû s’assumer pour pouvoir survivre, ils doivent donc (ré)apprendre à être des enfants. Dans les centres, la prise en charge éducative et psychosociale vise notamment cela : leur permettre d’occuper cette place. Ils peuvent manger, dormir, jouer, aller à l’école, être soignés… être des enfants, en somme. Ce travail passe aussi par l’accompagnement des équipes socio-éducatives afin de réduire leur stress et renforcer leurs compétences, leur permettant ainsi d’offrir une prise en charge mieux ajustée aux besoins des enfants.

LC : L’insertion socioprofessionnelle joue aussi un rôle important dans la reconstruction psychologique de ces enfants ?

Clairement. C’est fondamental en fait, parce qu’un certain nombre de ces enfants n’a pas de solution. Ils ne veulent ou ne peuvent pas retourner dans leur famille comme ils y ont été maltraités ou chassés et ils ne veulent pas retourner dans la rue. Ils ont donc besoin d’une autre option. Et cela passe par une formation, un métier pour leur permettre de se réinsérer. Je pense qu’il serait également utile de développer des centres spécifiques pour les grands jeunes qui sont en formation afin de les soutenir jusqu’à ce qu’ils aient leur propre chez eux, leur salaire... C’est fondamental de les accompagner dans ce projet, sinon le travail en amont risque de n’aboutir sur rien. La prise en charge psychosociale perd de son sens sans un projet d’insertion qui offre une possibilité d’avenir. Alors que s’ils sont formés, c’est une chance pour une réinsertion réelle et durable.

LC : Comment évolue aujourd’hui la problématique globale des enfants en situation de rue à Kinshasa ?

Globalement, la situation des enfants des rues empire. C’est-à-dire qu’il y a de plus en plus d’enfants dans la rue. C’est empirique, parce qu’il n’y a pas eu de recensement depuis 15 ans, mais toutes les associations s’accordent pour dire que le phénomène augmente. Néanmoins, je pense que, pour une partie de ces enfants, le passage par les centres d’accueil, le travail avec les familles et l’aboutissement à une réinsertion sont réellement efficaces. De nombreux enfants sont pris en charge et soignés. Ces enfants sont aussi scolarisés, ils ont une enfance. Donc je pense qu’il y a une vraie utilité dans l’existence de ces centres, de ces projets. Mais la tâche est monumentale. C’est une goutte d’eau dans l’océan, mais une goutte d’eau potable.

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